dimanche 8 novembre 2015

Instruisez l'enfance, dès que son esprit devient capable d'instruction : mais ménagez sa faiblesse, et sachez vous accommoder à sa raison naissante. Laissez à cette jeune fleur le temps de pousser et de s'épanouir, et ne la flétrissez pas pour toujours, en l'échauffant imprudemment dans votre sein.
Sentences et morales chinoises (1782)

Pourquoi cette citation? Je suis en train de lire le bouquin de Delphine de Vigan. Le talent d'un écrivain est qu'au détour d'un mot, d'une ligne, d'une page, il arrive à nous émouvoir, à nous faire rire ou à faire surgir des souvenirs, des choses que nous avions bien rangées, enfouies toutes froissées dans un tiroir de notre cerveau.
Delphine de Vigan a écrit un livre magnifique, troublant, dérangeant.
A un moment de sa vie elle a vu ses enfants prendre leur envol, partir loin. Je n'ai jamais lu un livre avec un titre aussi long que celui de Romain Puertolas "L'extraordinaire voyage du Fakir qui était resté..." écrit par une maman qui voit ses enfants quitter la maison un à un "Le chagrin caché d'une maman qui assiste impuissante et ravie, sentiments contradictoires, à l'envol de ses enfants, loin du nid familial." Et pourtant, il y aurait une vraie source d'inspiration.


Mon premier enfant est parti à 18 ans, 400 km de chez nous, ce n'était pas le bout du monde mais il allait vivre à Toulouse pour quelques années il faisait ses études. Nous avons cherché un studio, pas trop loin du centre ville, rangé ses affaires, garni les étagères, nous étions anxieux, il était content, j'ai un peu pleuré en cachette, et je fanfaronnais "Nous ne faisons pas des enfants pour nous, il faut qu'ils vivent leur vie mais nous devons leur donner toutes les chances pour réussir leur vie." A la première occasion je descendais sur Toulouse, je regarnissais les étagères, des conserves, des pâtes, des gâteaux, il ne fallait pas qu'il ait faim, la mère nourricière, nous allions au cinéma, il me faisait visiter ce qui était devenu sa ville, je faisais la connaissance de ses copains, c'était amusant, encore quelques moments ensemble. Il est parti très loin faire son service militaire, à Mururoa, une coupure plus longue, histoire de s'habituer avant un autre grand départ vers un pays lointain pour son travail. On s'y fait, nous n'avons pas le choix, il est libre de choisir sa vie.

Le deuxième, autre cas, jamais loin de nous, avec une amoureuse ou sans amoureuse, puis tout a changé, il est papa de quatre enfants. On n'écrira jamais assez sur les sentiments d'une maman qui voit son fils avec une jeune fille pendue à son cou pour la première fois, plus tard il y eu d'autres occasions, ne plus être surprise! Toutes les questions que nous nous posons, l'inquiètude "Va t-elle le rendre heureux?" Il partait, il revenait, il a été malheureux, heureux et il est parti pour de bon, j'ai beaucoup gardé ses enfants, la coupure n'a jamais été franche, il y a toujours des fils visibles et invisibles qui nous relient, je lui caresse toujours la joue lorsque je lui dis au revoir, mais rassurez-vous, je ne lui tiens plus la main pour traverser la rue, il a bientôt cinquante ans.

La troisième est une fille. Tout est différent pour une mère et surtout pour un père, nous savons instinctivement que rien ne sera pareil, deux garçons et une fille, la complicité. Je commençais à avoir de l'expérience, j'ai rusé lorsqu'elle a connu un garçon qui est devenu son mari "Il viendra à la maison lorsque tu auras eu ton bac en juin." Une manière de croire qu'elle était encore à nous, qu'à nous. Elle a eu son bac, il est venu chez nous, elle a deux filles et a connu à son tour les affres de la séparation, 12 km mais pour elle c'était trop, j'ai beaucoup ri cet été, Laura sa fille faisait un stage à Quimper et rentrait déjeuner chez ses parents et elle disait "Je vois ma mère le dimanche, c'est tout"  Sylvain a dit "Et dans la semaine?" "Ce n'est pas pareil, je ne fais que manger et je pars." Le cordon ombilical n'est pas coupé. J'aime le calme de ma fille et le soin qu'elle a à me préserver, ne jamais nous inquiéter pour pas grand-chose. Nous nous aimons.

Il y a ensuite une maison vide, des chambres où les lits restent toujours faits, un frigo qui reste souvent plein, une cocotte trop grande pour deux, un canapé où nous pouvons enfin nous asseoir sans qu'ils soient allongés pour regarder la télé, des joies, des chagrins, et il reste surtout celui avec qui j'ai décidé de faire un grand bout de chemin et qui vient de m'annoncer que nous n'avons encore rien gagné au loto samedi, mais ce n'est pas grave, la vie a été généreuse avec nous, on ne peut pas tout avoir. Il faudrait écrire ce livre sur le chagrin des mamans qui voient partir leurs enfants, tout au début de la désertion, plus tard ce n'est plus possible, les sentiments ne sont plus les mêmes et vieillir fait prendre de la distance, j'observe autour de moi, j'écoute : 
"Est-ce que nous ne devenons pas un peu égoïstes?" Sans doute. 

Voilà, j'ai fini, je n'ai pas envie de parler de scrabble, hier j'ai lu les deux parties à Plouharnel, celles de la phase 1, je ne veux pas penser au scrabble. Ce sera pour demain.

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