jeudi 24 avril 2014

Nous sommes rentrés, épuisés émotionnellement et physiquement, mais nous allons récupérer. C'est la vie qui n'est pas toujours clémente, il faut accepter lorsqu'il n'y a pas d'autres solutions, se faire une raison.
J'ai laissé ma mère assise dans un fauteuil, elle voulait se relever pour partir avec nous, hier elle avait des éclairs de lucidité et se rendait bien compte qu'elle n'était pas chez elle, elle m'a même reconnue contrairement aux jours précédents, j'ai eu droit à "Est-ce que je vous connais madame?" elle voulait retrouver ses affaires, la pauvre ne se doutait pas que nous avions vidé son appartement et qu'elle ne reverrait plus jamais ce qui avait été le cadre des dernières années de sa vie avec mon père.
Cette maladie appelée démence sénile est bizarre, ce n'est pas l'Alzheimer, il y a des jours calmes et des jours agités, de la paranoïa, la peur de tout, j'ai dû la calmer plusieurs fois.
Elle a perdu sa mémoire immédiate et plusieurs pans de sa vie, mais reconnaît certaines personnes et pas du tout les autres. "Vous m'avez abandonnée" cette phrase prononcée dans un moment de lucidité assez bref restera longtemps gravée dans ma mémoire. Comment faire autrement? Impossible de s'occuper d'elle, ce serait trop dur.
Elle jouait beaucoup au scrabble, hier j'ai allumé la télé pour qu'elle puisse suivre "Slam" ça l'intéressait pendant quelques secondes et puis plus rien. Comment peut-on vivre sans livres, sans s'intéresser à rien, les mains croisés, les yeux dans le vague? L'attente, l'attente, puisque le cerveau ne veut plus accomplir ce pourquoi il est fait. C'est terrible et très traumatisant.
La porte de sa chambre reste ouverte et je voyais passer des personnes hagardes mais qui marchaient seules, un monsieur Alzheimer fugueur attendait qu'une personne veuille sortir pour profiter de la porte ouverte, il faut sans cesse le surveiller et il n'avait pas l'air d'accord, des digicodes partout pour éviter les fugues.
Je suis allée chercher ma mère puisqu'elle était à l'animation de l'après midi "Jouons avec les mots", j'étais derrière elle, je la regardais pour voir si elle réagissait elle qui adorait les mots, mais rien, elle avait l'air de s'ennuyer, ne participait pas du tout. J'ai tout de même ri en entendant une pensionnaire s'insurger lorsque sa voisine lui a dit ironiquement "Mais vous n'avez pas trouvé, vous auriez dû savoir", la réponse a été cinglante "Ma chère, je ne peux pas tout savoir" le ton n'était pas aimable, il doit y avoir quelques accrochages !

Incroyable coïncidence, Christian avait l'air de reconnaître les lieux, mais il n'arrivait pas à se rappeler les circonstances, mon frère me disait "Cette maison de retraite devait être une ancienne clinique" Bingo, c'était ça. J'en ai eu la confirmation.
Il y a 50 ans nous habitions Clamart et c'est dans cette clinique que me suis faite opérer de l'appendice, ça s'appelait "La clinique de la Maison-Blanche". J'ai retrouvé l'endroit où était ma chambre, à cette époque nous restions huit jours en clinique pour une appendice, le restaurant est situé dans l'ancien bloc opératoire, presque rien n'a changé, l'endroit est toujours aussi paisible, trop calme, beaucoup trop calme.
Les fenêtres des chambres sont hautes, les mamies ne peuvent rien voir de ce qui se passe à l'extérieur puisque la plupart d'entre elles sont toujours assises,. Ils auraient pu faire des portes-fenêtres pour qu'il y ait un peu de vie, voir un peu ce qui se passe dans la rue. 

Il y a 50 ans je n'aurais jamais pensé que cet endroit serait celui où ma mère finira peut être sa vie. J'ai été protégée pendant toute ma vie, je n'ai pas connu ces établissements puisque personne n'y allait dans notre famille, maintenant je sais, j'aurais préféré ne jamais savoir, l'image de la vieillesse dans ces conditions n'est pas belle.

Physiquement cela a été épuisant, vider un appartement même petit n'est pas simple, mais heureusement Christian et mon frère ont formé une équipe formidable, tout était super organisé, nous nous sommes répartis les tâches, à trois c'était plus facile, les Emmaüs ont été fidèles au rendez-vous, ils étaient contents, le travail était bien avancé, les meubles démontés, ils ont tout emporté, il y aura des gens heureux. Nous avions décidé de tout donner. L'appartement est vide, j'étais angoissée mais non tout s'est bien passé, une bonne chose de faite, "les déménageurs bretons" sont efficaces. J'ai juste dit avec les larmes dans les yeux "Toute une vie effacée" mais c'est dans l'ordre des choses.
Nous avons trié les photos, chacun a eu les siennes, je vais mettre dans mon jeu de scrabble celle de ma mère prise à son club, bien attentive devant son jeu. Un autre temps.

Demain, mon blog redeviendra ce qu'il était. Christian mettra la liste des joueurs du championnat de Bretagne par paires en ligne sur le site, et celle du semi-rapide à jour.
Pour l'instant il se repose, il le mérite.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire